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"Un autre monde est possible, mais il est dans celui-ci." Paul Éluard

CECI N'EST PAS UN PARKING
Article publié par la Friche Belle de Mai - Juillet 2021

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Photo : Caroline Dutrey

Vous l’aurez sans doute remarqué, il émerge petit à petit à la Friche depuis quelques temps, le Champ de Mai, nouveau lieu de vie appropriable par toutes et tous peut enfin accueillir celles et ceux d’entre vous qui souhaitent se la couler douce et flâner à l’ombre des pins maritimes…

Pour inaugurer ce nouvel espace des possibles, nous avons souhaité vous raconter le projet et son histoire, mais aussi vous parler de celle qui l’a imaginé. Nous sommes allées pour cela à la rencontre de Kristell Filotico, architecte voyageuse, déterminée à réaliser les utopies qui sommeillent en nous…

C’est dans son cabinet d’architecte, en plein cœur de Marseille, que Kristell nous reçoit, large sourire aux lèvres, pour nous parler de ses différents projets, mais surtout de la philosophie avec laquelle elle les conçoit.

"Humaniste et engagée" sont les mots par lesquels Kristell se définit d’emblée. Elle nous dit s’être construite ainsi, à travers les diverses expériences et rencontres qui ont jalonné sa vie et sa carrière.

Une architecte inspirée

Kristell Filotico est avant tout une passionnée. Fan de Street Art, elle souhaitait étudier l’histoire de l’art, mais ses parents l’ont dirigée vers des études plus scientifiques. ce sera donc d’abord à Milan, à l’école Polytechnique, puis les écoles nationales supérieures d’architecture de Saint-Étienne et de Lyon. Avant de monter sa propre agence, Kristell s’inspire, se nourrit des créations et idées d’autres architectes afin de pouvoir aller au bout de ses envies, et de croire en la faisabilité des projets les plus innovants et courageux. Kritstell ne veut s’inspirer que là où l’architecture est toujours au service de la vie, et cite l’architecte chilien Alejandro Aravena et son projet Quinta Monroy. Son principe ? Bâtir des demi-maisons que les habitants peuvent ensuite compléter au gré de leurs finances.

Lorsque Kristell évoque ses mentors, elle convoque, enthousiaste, Lina Bo Bardi, architecte brésilienne qui pensait son architecture comme un organisme adapté à la vie, associant l’usage quotidien et l’énergie de ses habitants. Tout le travail de Kristell Filotico en est empreint.

"Être architecte femme, cela permet beaucoup de choses. "

Inspirée, Kristell l’est aussi par Corinne Vezzoni, l’architecte avec qui elle travaillera à Marseille durant 5 ans. À l’époque, elle s’identifie à cette jeune femme et à son agence extravertie, elles vont ensemble enchainer les projets et Kristell, aussi galvanisée qu’elle soit par cette ébullition découvrira à cette époque un milieu très masculin où on lui fera remarquer sa posture de femme… qui l’avantagerait soi-disant. Elle ne flanchera pas et restera telle qu’elle est malgré les remarques, fidèle à elle-même, prouvant à ceux qui en douteraient que les projets qu’elle mène sont possibles grâce à une exigence sans faille et un travail sans concession

Une architecte Humaniste

Depuis qu’elle s’intéresse à l’architecture, Kristell Filotico a toujours pensé ses projets en prenant en compte l’humain, avant toute chose : les habitant·e·s qui allaient vivre dans ses logements, les travailleur·euse·s qui allaient arpenter les couloirs de ses créations, les flaneur·euse·s qui profiteraient des espaces communs de détente au cœur de ses projets…

C’est le thème du logement et de l’immigration qu’elle décide de défendre pour son diplôme d’architecte. Elle choisira de présenter un projet de logement social dans le quartier du Panier à Marseille, à travers lequel elle réfléchira à fabriquer d’autres usages des habitats et des espaces, et à d’autres manières d’habiter.

Quelques années plus tard, elle travaillera avec l’architecte Marc Dauber sur un projet d’une centaine de logements sociaux dans la Drôme, avec un réel suivi des locataires en place. Elle poursuivra avec ce projet sa réflexion sur les différences, les diverses façons d’habiter en proposant des appartements sur-mesure répondant aux besoins et envies de chacun·e.

La rencontre entre Kristell Filotico et la Friche survient en 2016 avec le projet La Belle Ensemble. L’idée : construire à la Friche, entre la Villa des Auteurs et la crèche, 26 logements locatifs sociaux en habitat participatif.
Dès le projet validé, Kristell Filotico va d’abord aller à la rencontre des futur·e·s habitant·e·s, leur demander ce dont ils·elles ont besoin, envie, avant de faire croquis et plans. C’est une démarche nouvelle, du jamais vu en matière d’architecture.

Son désir d’investissement pour La Belle Ensemble ne s’arrête pas là. L’architecte dormira à cette époque plusieurs nuits dans la Villa des Auteurs à la Friche, afin de capter l’environnement à diverses heures et ainsi appréhender les bruits, la lumière, l’espace, pour élaborer un projet proche de ses habitant·e·s, réfléchi au-delà de son aspect purement fonctionnel. Kristell évoque l’importance qu’elle accorde à l’imprégnation des lieux sur lesquels elle travaille. Il y a longtemps, elle a séjourné 8 mois à Marrakech, au cœur de la Médina, s’ouvrant ainsi à d’autres manières de vivre.

Passionnée aussi par les questions sociologiques, Kristell Filotico proposera aux futur·e·s habitant·e·s de La Belle Ensemble de construire eux·elles-mêmes les maquettes de leurs futurs logements. Toutes et tous le feront avec énormément d’enthousiasme. Malheureusement, ce projet qu’Alain Arnaudet, directeur de la Friche à l’époque qualifiait d’ "amoncellement d’utopies" sera brutalement annulé.

Lorsque l’on demande à Kristell Filotico quelle a été sa réaction lorsqu’elle a compris que son projet ne verrait jamais le jour, elle nous répond :

"C’est terrible, mais pas terrible pour l’architecte, c’est terrible pour les gens ! Terrible pour des gens qui se sont investis dans ce projet et qui avaient espoir, qui ont passé deux ans et demi à rêver sur ce projet !"

Quelques temps plus tard, la Friche lance un concours afin de végétaliser la place et d’offrir un parking aux usager·e·s de la Friche. Guère enthousiaste à l’idée de la réalisation d’un parking, elle ne répond pas à l’annonce. Mais après quelques discussions et réflexions, l’idée fait son chemin, et Kristell envisage de travailler à nouveau pour la Friche et pour les personnes qui la font vivre et l’habitent. Comme une revanche sur le destin du projet avorté de La Belle Ensemble, elle répond au concours et se reconnait dans la volonté exprimée par Alain Arnaudet d’ouvrir la Friche au quartier d’un point de vue social.

"Alain parle d’ouvrir la Friche, de faire des cadeaux à ses usager·e·s, je me reconnais tout à fait dans cette envie." 

Le Champ de Mai, ou comment transcender l’idée du parking

Avec le Champ de Mai, Kristell Filotico a souhaité créer, plus qu’un parking, un véritable lieu des possibles et offrir un espace public appropriable par le plus grand nombre. Lorsqu’elle nous parle de ce projet, elle évoque d’emblée ses références, ses inspirations, toujours nourrie par ses voyages, par le travail des autres, toujours en recherche d’y apporter son audace et la petite différence qui en fera une création unique.

Pour le Champ de Mai, Kristell a voulu « chercher l’évidence et offrir plus ». Elle nous explique que l’idée a été de travailler au sol plutôt qu’à l’élévation d’un bâtiment. Ainsi, au-delà de la capacité purement fonctionnelle du parking en sous-sol permettant à chacun·e de se garer, Kristell a choisi de créer une esplanade à ciel ouvert, qui pourra servir à accueillir du public lors de soirées festives ou cinématographiques par exemple. Pour cela, elle a souhaité créer une inclinaison du sol qui permettra, lors de ses évènements à chacun·e de voir et d’entendre ce qu’il se passe au niveau de la « scène », une sorte d’amphithéâtre épuré.

Kristell fait référence à la Piazza del Campo à Sienne, mais aussi à l’esplanade Beaubourg à Paris, qui a exactement le même degré d’inclinaison !

Autour de cette esplanade, Kristell a choisi de créer un nouveau lieu de vie à la Friche. Un endroit ombragé dans cet univers très minéral, où l’on pourra venir rêvasser, jouer… Elle a donc choisi de l’entourer de 300 mètres linéaires de bancs, pour que tout le monde puisse y trouver son espace.

Pour arborer la place, elle a souhaité travailler avec les paysagistes de l’Atelier Roberta, trois jeunes femmes issues de l’école nationale du paysage de Marseille. Elles ont imaginé ensemble comment la végétation locale des calanques pourrait se glisser dans la roche déjà présente à la Friche. La mémoire du lieu est ainsi conservée, tout en étant désormais plus végétale, en gardant toujours à l’esprit l’environnement dans lequel nous nous trouvons et les espèces qui seront les plus à même d’y évoluer. Chaque arbre du Champ de Mai a ainsi été sélectionné en Toscane, et toujours avec l’envie de faire participer les usager·e·s des espaces qu’elles crée, Kristell a imaginé que les enfants de la crèche se situant juste à côté puissent venir, accompagnés de leurs parents, pour aider à la plantation de ces nouveaux arbres qui feront partie de leur quotidien.

Fin avril, après de longues journées de travail sur ce chantier qui a nécessité une réelle complémentarité entre ingénierie et architecture de par sa complexité, Kristell Filotico a pu apporter de ses propres mains la touche finale de son projet : une signalétique originale pour le parking, peinte à partir de pochoirs qu’elle a elle-même pensés et réalisés

Vous êtes curieux·se·s de découvrir ce nouveau lieu de vie à la Friche ? Ça tombe bien, le Champ de Mai est désormais un espace qui se vit !

EXTRAITS CHOISIS
Concours pour le poste de maître de conférence à l'École Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Bordeaux - Juin 2020

Temporalités : qu’est-ce qu’une architecture contemporaine ?


Pour ce faire, il nous est indispensable de connaître et comprendre notre patrimoine, les édifices incontournables livrés par l’histoire de l’Architecture antique et récente, de connaître et comprendre la production actuelle en l’envisageant comme le patrimoine de demain.

Questionner la création et la construction dans le temps par le sujet, le programme ou la matérialité impose également à l’étudiant de formuler une réponse argumentée et de se positionner dans une réalité actuelle et à venir.

Réhabiliter, construire neuf mais pérenne et réversible ou construire éphémère, démontable et recyclable, sont des postures contemporaines responsables et expérimentées.

 

Atteindre la monumentalité* :


* Définition Larousse: Caractère puissant ou grandiose d'une œuvre d'art, qui peut résulter de ses dimensions, mais aussi bien de ses proportions et de son style [...] ce qu’il y a de plus propre à étonner l’intelligence, à imposer le respect, à subjuguer l’imagination
 

Concevoir une architecture par un processus structurel impose un retour immédiat au simple Acte de bâtir, expérimenter la matière et sa mise en œuvre, comme le fait le collectif espagnol Ensamble pour « la Maison Truffe » ou ses sculptures géantes dans les déserts américains. C’est juxtaposer, empiler, assembler des briques pour obtenir une voûte, emboîter pour ériger une charpente ou un plancher caisson, chercher et connaître les nouvelles technologies pour construire en pierre massive, mouler des poteaux champignons et les superposer à l’infini...
Après tout, les pyramides Aztèques ne sont qu’un empilement de pierres non taillées sur terre plein dont les joints sont magnifiquement décorés de minuscules cailloux multicolores, sur 70m de haut... L’ordonnancement, la composition deviennent incontournables dans ces expérimentations.

Les projets s’installent ainsi sans complexe sur des territoires réels en dialogue avec le contexte urbain et abritent des programmes ouverts, en assumant leur caractère monumental.
 

Humanisme et engagement


Les exercices de projet sur site réel et la proposition de programmes justes dans le contexte social et climatique doivent permettre aux étudiants d’ouvrir leur regard sur le monde et d’apprendre à l’observer, le connaître et le comprendre en élaborant ce qu’ils peuvent y apporter, en tant qu’architectes.

Notre seule responsabilité est de construire des aménités urbaines et architecturales, fondées sur une éthique, une intuition et un bon sens infaillibles.
Reconnaître, observer, savoir, qu’une matière particulière et quelques couleurs suffisent à générer l’émotion du travail d’Anna Heringer, que la douceur surgit d’un tronc d’arbre ou d’une bouche d’égout ou sur un mur gigantesque quand Nespoon (street-artiste) décide comme unique bataille d’aller « fleurir le monde ».

LE RISQUE

Intervention aux Tables ouvertes de l'association "Va jouer dehors", septembre 2020

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Pour illustrer ce thème, j’ai choisi l’image d’une surfeuse.

Elle, c’est Khadjou Sambé, certains d’entre vous ont dû voir ces images récemment car elle vient d’être nommée pour représenter son pays aux Jeux Olympiques.

C’est la seule femme surfeuse professionnelle du Sénégal.

Au-delà du risque même, intrinsèque à la discipline sportive, son risque à Elle, c’est d'être allée à l’eau. 

On lui avait interdit l’Océan et ses vagues, juste parce qu’elle est une fille ...

 

(…)

 

La création sans risque  ? 

Evidemment non.

Parce qu’on n’invente pas sans expérimenter, 

On ne découvre pas sans imaginer

Et il n’y a trop souvent pas de bon projet sans désobéissance, pour reprendre les termes de Renzo Piano

 

A l’échelle de mon humble expérience d’architecte, je peux affirmer que la prise de risque, en réalité, c’est juste « Ne pas y aller » et risquer de se décevoir soi-même.

Suivre ses convictions 

Imaginer et défendre l’Evidence

Défendre le bon sens en dépit ou contre des règles trop arbitraires, restrictives ou sécuritaires.

Ici, nous n’aurions jamais pu proposer une esplanade avec un programme de parking sans désobéir aux règles de la consultation.

Là-bas, nous n’aurions jamais pu offrir à un tribunal un parvis couvert, pourtant élémentaire pour un monument de ce type, sans sortir des limites de la parcelle pour qualifier un petit morceau d’espace public.

 

L’expérimentation, ça se provoque, ça se porte, ça se partage

 

Alors puisqu’ici sont réunis les différents acteurs de la ville : maîtres d’ouvrages, promoteurs, investisseurs, politiques,

je crois que la chose la plus intelligente que l’on puisse faire pour la ville de demain, celle en construction : c’est PARTAGER ce risque ensemble. 

Evidemment le créateur sera le plus souvent à l’initiative d’une idée, d’un pari, mais quel qu’il soit, urbaniste, paysagiste, architecte, sociologue… il a besoin d’être soutenu !

 

Alors je Vous invite, 

non je NOUS invite 

 

à RISQUER ENSEMBLE :

 

- risquer de remettre de l’archaïsme dans la construction

- risquer de conserver les bâtiments, de les regarder, de les ré-investir

- risquer de rendre la ville piétonne

- risquer de faire des trottoirs trop larges

- risquer de construire des logements trop grands

- des logements trop hauts

- risquer de mettre des bancs sur les places

- de rendre invisibles les grilles des jardins publics

- risquer de rendre les toitures accessibles

 

- risquer de mettre les pieds au Parc Corot, juste pour regarder ou écouter…

 

(…)

 

Le risque implique un danger, le danger provoque la peur, 

pour affronter ses peurs il faut du courage...

alors je voudrais finir avec ces mots de Nelson Mandela :

«  J’ai appris que le courage n’est pas l’absence de peur mais la capacité de la vaincre »

HOW LONG IS NOW

Réflexions confinées - 2020

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"On ne comprend que ce que l’on transforme" Bertolt Brecht

Transformer la matière en agissant sur elle ou avec elle.
Transformer notre patrimoine paysager et bâti, en faisant ressurgir le sens des choses, les traces et la poésie du temps, en créant le dialogue avec une intervention contemporaine juste au service de la qualité spatiale
Transformer la ville, avec clairvoyance et courage, pour que de l’espace public jusqu’au plus petit logement,
elle ne soit qu’une collection de lieux des possibles pour ses habitants.
Transformer notre territoire à toute échelle pour que chaque pierre, chaque élément choisi dans l’acte de bâtir fasse sens dans la nouvelle ère qui se dessine et participe à une humanité responsable.

« « Gaïa », terre vivante, qui s’agite et rend les coups... Nous sommes faces à Gaïa
(...) L’apocalypse est un thème positif, enthousiasmant, grâce auquel on peut se débarrasser de faux espoirs. C’est donc ce qui rend notre époque si intéressante, et même sensationnelle.
(...) L’urgence est de savoir dans quel espace et à quel moment de l’histoire nous sommes.
Pour faire face, il faut innover »

Bruno Latour, sociologue, Le Monde Avril 2020

Les Ecoles d’Architecture constituent de précieux territoires de partage.
Un partage entre sachants et étudiants, un partage créatif concret et intellectuel.
La violence, la rapidité et les transformations intrinsèques de la pandémie que nous traversons questionnent. Le monde cherche des réponses auprès des économistes, des chercheurs, des sociologues, des philosophes, anthropologues et architectes.
Les Ecoles d’Architecture sont aussi le lieu d’élaboration de ces réponses, notre responsabilité est de les formuler ensemble pour Imaginer quoi et comment construire, ou ne pas construire dans cette nouvelle réalité.

(...)

Humanisme et engagement

Prendre du plaisir et avoir l’ambition d’offrir du rêve ou simplement une réalité généreuse, impose le don, l’écoute des autres, de leurs besoins, mais aussi de leurs envies. On ne construit pas pour soi.
Une architecture attentive est un magnifique territoire de partage et de recherche d’évidence.
Les exercices de projet sur site réel et la proposition de programmes justes dans le contexte social et climatique doivent permettre aux étudiants d’ouvrir leur regard sur le monde et d’apprendre à l’observer, le connaître et le comprendre en élaborant ce qu’ils peuvent y apporter, en tant qu’architectes.

Notre seule responsabilité est de construire des aménités urbaines et architecturales, fondées sur une éthique, une intuition et un bon sens infaillibles.

ENTRETIEN AVEC FABRICE LEXTRAIT– 3 Mars 2017

Extraits de La Friche Terre de Culture – Editions Sens&Tonka

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« Kristell Filotico est sans doute la résidente temporaire la plus jeune et la plus récente. Sélectionnée dans le cadre d’une « discussion » par les maîtres d’ouvrage des logements (…) proche du dialogue polymorphe avec les commanditaires, les résidents et bien sûr les habitants, elle est l’architecte maître d’œuvre d’un projet-processus de logement rare en France. Hélas, ce projet est arrêté par la Ville ayant refusé son installation sur le site… »

 

« Que signifie la notion d’Habiter Autrement ?

  • C’était le sujet de mon diplôme : Réflexions sur les différences : 26 logements au Panier… Aujourd’hui le nom qui a été choisi par le collectif est La Belle Ensemble, et je m’y retrouve totalement par ses dimensions poétique et politique. Une des caractéristiques que nous avons soulignée lors de notre première rencontre avec les habitants, c’est qu’ils ont d’ores et déjà une appropriation du projet et une projection que nous n’avons jamais rencontrée ailleurs. Ils se connaissent, ils sont très attachés à La Friche et ont déjà des moments de vie partagée. Ils ont des histoires liées à ce lieu, et la diversité des origines transcende le tout. Le voisinage existe avant même la cohabitation dans l’immeuble. (…) Les habitants de La Belle Ensemble ont aussi la volonté d’ouvrir la porte de leur logement et de s’ouvrir aux artistes dans une relation qui reste à écrire.

Quelles sont les contraintes sur une aventure constructive de cette nature ?

  • Le budget, bien sûr, mais également la densité construite sur le terrain. (…) L’autre astreinte, habituelle et insupportable, c’est la typologie. Un T2=46m2, un T3=60m2, un T4=73m2. Ici nous allons la contourner et il est très intéressant de discuter avec des familles qui veulent et peuvent avoir la surface d’un T5, en fonction du nombre d’enfants, mais qui souhaitent l’aménager en T3. Cette liberté nous l’avons et elle nous permet de jouer différemment avec les contraintes.

Comment l’écriture se forge-t-elle ?

  • Avec des seuils et des transitions. Avec des entre-deux. Avec une réflexion sur le rez-de-chaussée, qui doit impérativement être ouvert sur la Friche. (…) L’architecture que nous souhaitons concevoir et construire est faite pour que les habitants puissent jouer avec elle. Il faut que la surface que nous donnons aux habitants soit évolutive. Nous recherchons dans le travail d’écriture une pérennité des éléments porteurs qui sorte d’un vocabulaire éphémère en vogue. (…) La minéralité du projet me semble dictée par le climat dans lequel il s’inscrit : ces logements sont par défaut méditerranéens, ils l’assumeront dans leur conception et dans leur expression.

Kristell, le projet s’est fondé sur une démarche concrète ?...

  • Nous avons tout de suite organisé un premier atelier de rencontre, moment fondateur d’une réelle cohésion pour notre travail. Chacun s’est présenté, a expliqué ses besoins, ses motivations… Beaucoup d’émotions partagées… J’ai proposé une méthode de travail totalement expérimentale. Christian Abbes et Alain, mais surtout Pierre, qui avait accompagné de nombreux groupes en participatif, ont été surpris et réticents, mais ils m’ont fait confiance. Je voulais rencontrer chaque famille, chaque habitant avant même de commencer à réfléchir au projet. J’étais convaincue que leur histoire, leur quotidien, leurs rêves allaient faire plus que nourrir le projet : le fabriquer.

Deux autres ateliers participatifs ont été organisés avec des entretiens d’une heure au moins pour chaque foyer, certains réservés aux enfants et d’autres aux femmes. (…)

Cette méthode a perturbé nos idées établies sur plusieurs thèmes fondamentaux du projet, comme le choix de l’orientation des pièces, l’envie d’habiter en hauteur, un enthousiasme pour des typologies à patio, le désir d’une cuisine fermée, etc… Ce travail commun et colossal a été largement documenté et filmé par Jeff Comminges, puis synthétisé sous forme d’un book d’une richesse extraordinaire, matière du projet.

 

Alors nous avons tenté d’imaginer une évidence. Offrir une surface supplémentaire appropriable, par des circulations élargies habitables et des espaces non définis. Construire en béton pour des raisons de coût liées au contexte local. Créer une insertion minérale dans cette Friche qui n’en serait pas une autrement. Sculpter cette minéralité dictée par le climat dans lequel s’inscrit le projet. Fabriquer une installation structurelle intégrant sa reconversion possible en ateliers d’artistes, en classes d’école… Pour nous cette approche est la seule approche contemporaine envisageable de l’architecture.

 

Et à l’écoute de la volonté d’« Amoncellement des utopies » formulé par Alain Arnaudet, d’expérimentation de Christian Abbes, de verticalité de Matthieu Poitevin, nous avons travaillé en maquette pour réellement empiler ces 26 logements à l’image des souhaits exprimés par leurs futurs occupants. (…)

Nous avons voulu construire un empilement de rêves.

 

Certains voulaient habiter en rez-de-chaussée, d’autres en hauteur, voir le parc de la maternité depuis leur salon ou leur chambre, prendre le café avec le soleil du matin, beaucoup rêvaient d’une vue sur les voies ferrées, évocatrices de voyages, d’ailleurs… Naturellement le bâtiment s’est donc installé en L, sur 7 niveaux au « sommet », ouvert sur un jardin formant cour commune avec la crèche, complété d’une construction de deux niveaux abritant les espaces communs, logements d’artistes et colocs (…)

Selon les principes de l’habitat intermédiaire, les logements se décalent à chaque étage, la toiture devient terrasse sans création de surface hos œuvre brute supplémentaire. Les surfaces extérieures sont ainsi bien plus généreuses qu’au programme !

Sans rien vouloir ôter à la recherche architecturale qui a été celle de l’agence, le projet de La Belle Ensemble constitue réellement l’image de la superposition des volontés exprimées par chacun et représente une expérimentation de conception unique, appartenant à chaque acteur de cette aventure. »

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